Sophie Ternel, directrice sportive de la commission fédérale boccia, répond à nos questions autour de son sport. Ce dernier, proche de la pétanque et discipline paralympique depuis 1984, est encore assez méconnu en France. A travers cet article, venez découvrir son fonctionnement, ses différentes spécificités ou encore son développement au niveau national.
Futur Sport : Bonjour Sophie, pouvez-vous vous présenter ?
Sophie Ternel : Je suis directrice sportive au niveau de la commission fédérale boccia, au sein de la Fédération Française Handisport. Je suis à ce poste depuis 2008. De 2008 à 2017, en tant que bénévole et depuis 2017, je suis salariée à la Fédération.
Comment avez-vous été initiée à la boccia ?
Pendant mes études STAPS, je me suis intéressée au public ayant un grand handicap, c’est-à-dire toutes les personnes qui ont une grande myopathie, les tétraplégiques, les personnes en fauteuil électrique. Quand on s’intéresse à ce public, le nom de la boccia revient souvent. De plus, à cette même époque (2007-2008), une commission boccia était en phase de création au sein de la fédération.
Pouvez-vous nous expliquer comment se déroule un match de boccia ?
C’est semblable aux autres sports de boules. Il y a une balle, qui peut s’apparenter au cochonnet, qu’on appelle le « Jack » et le but est simple : être le plus proche du « Jack » à la fin de chaque manche. Une manche représente 6 balles et une fois que les joueurs ont lancé leurs 6 balles, on compte les points et on les cumule sur 4 manches différentes. Le système de comptage des points est le même qu’à la pétanque. Ce qui diffère, c’est le matériau des balles qui est très facilitant pour les personnes ayant un handicap (les balles sont en cuir) et ça se joue en intérieur, sur surface lisse, sur un terrain de 12 mètres de long et 6 mètres de large. Le positionnement des joueurs est aussi spécifique car ils ont chacun une aire de lancement, en fonction de leur couleur (les balles sont rouges et bleues).
Enfin, la boccia peut se jouer en individuel, en doublette et en triplette. Les joueurs se partagent alors équitablement les 6 balles.
Quelles sont les différentes catégories représentées en boccia ?
Il y a 4 classifications paralympiques (BC1, BC2 , BC3 et BC4), qui dépendent du type de handicap. On a 3 classifications pour les grands paralysés cérébraux, car c’est un type de pathologie qu’on retrouve beaucoup en boccia et dans une autre classe, on peut retrouver des tétraplégiques blessés médullaires, myopathes, arthrogryposes. Initialement, la boccia a été créée pour les paralysés cérébraux et c’est encore bien visible dans les classifications. Sinon, elle représente 7 épreuves aux Jeux Paralympiques, c’est-à-dire une épreuve individuelle par catégorie et 3 épreuves par équipes. Toutes les épreuves sont mixtes.
Chez les BC3, les lanceurs utilisent une rampe pour lancer la balle. Sinon, dans les 3 autres catégories, ce sont des lanceurs main. La catégorie BC3 est une catégorie que l’on voit beaucoup en France, car ils sont plus nombreux. De plus, c’est dans cette catégorie que la France s’est qualifiée pour Tokyo. De ce fait, quand on pense à la boccia, le prisme est souvent rétréci aux joueurs en BC3.
Dans cette catégorie, il y a des assistants qui effectuent ce que le joueur leur demande au niveau de son matériel, de sa rampe. Cependant, ils ne doivent pas avoir d’influence sur le jeu. En BC3, les joueurs n’ont aucun moyen de préhension, c’est pour ça que ce système de rampe est utilisé. Ce n’est pas pour faire « joli ». La rampe est une sorte de bras articulé qui permet au joueur de s’exprimer sur toute la surface du terrain, pour qu’il puisse réaliser tous les coups techniques comme un lanceur main. Par conséquent, un joueur de boccia handisport peut jouer contre un valide et gagner.
Quelles sont les qualités d’un bon joueur de boccia ?
En premier lieu, les facultés cognitives et intellectuelles sont essentielles pour être performant. La boccia touche un large public avec de nombreux paralysés cérébraux, dont certains possèdent des troubles cognitifs. Par conséquent, les joueurs qui arrivent à aller le plus loin sont ceux qui n’ont pas ces troubles cognitifs car ça reste un sport stratégique, avec des choix importants à faire à chaque manche. Aussi, il y a les capacités physiques comme dans tout sport. On parle là de tout ce qui est capacités musculaires au niveau des membres supérieurs, du tronc. Pour finir, il y a bien sûr tous les aspects de concentration d’un sport de précision classique.
Quelles sont les compétitions majeures ? (Au niveau national et international)
Au niveau national, la compétition de référence, c’est le Championnat de France, qui est sur qualification régionale. Au final, les 80 meilleurs joueurs français se qualifient pour cet événement. La compétition a lieu chaque année, au mois de mars et dure 3 jours. Cette année, les Championnats de France ont pu avoir lieu, peu de temps avant l’annonce du confinement. Cependant, pour l’année prochaine, il y aura une petite modification du calendrier car nous avons été contraints de déplacer un Open européen, se déroulant en France, à mars 2021.
Au niveau international, il y a un circuit qui est composé de différents opens. Tout d’abord, il y a des opens continentaux qui sont ouverts aux pays qui commencent et qui ont encore un niveau de jeu limité. Ensuite, il y a des open mondiaux. Tous les pays n’y ont pas accès, il faut rentrer dans le top 10-12 mondial pour pouvoir prétendre à ces compétitions. Les nations qui obtiennent les meilleurs résultats lors de ces opens, se qualifient aux compétitions de référence : le Championnat de leur continent et le Championnat du monde, qui ont lieu tous les deux ans, en alternance. Par conséquent, dans chaque catégorie, le circuit est progressif et suivant le niveau des pays, on sait sur quelle compétition on peut s’inscrire.
Pour les Jeux Paralympiques, sur un cycle de 4 ans, il faut être présent sur les compétitions de référence. Si on est pas qualifié sur ces compétitions, c’est très compliqué de prétendre aux Jeux. Il faut donc réaliser de belles performances lors des Opens. A la fin du cycle, il faut être dans le top 10 mondial dans sa catégorie.
Où se situent les Français au niveau international ?
Il faut savoir que ce sont vraiment les épreuves par équipes qui sont privilégiées pour les qualifications aux Jeux Paralympiques. Du coup, on a tenté de former des équipes performantes dans toutes les catégories mais pour le projet Tokyo, c’était vraiment la paire BC3 qui était projetée. Ils ont fait leur circuit individuel mais c’est essentiellement le double qu’il fallait travailler. Depuis 2016, ils ont fait les différentes compétitions du circuit, avec pour objectif de se qualifier pour Tokyo. Ils ont pas mal fonctionné sur les opens européens et mondiaux et ont eu le titre de champion d’Europe l’été dernier. Cela leur a permis de rentrer dans le top 10 mondial et de se qualifier directement pour les Jeux Paralympiques.
L’équipe de France championne d’Europe dans la catégorie Paire BC3.
Quelles sont les nations phares en boccia ?
Ça dépend des catégories. Par exemple, en BC 3, les Grecs sont numéro un mondiaux. Sinon, de manière globale, avant 2016, on a une réelle domination européenne mais maintenant, les choses ont changé. Avec Tokyo, les pays asiatiques se sont bien développés. Par conséquent, le continent européen et le continent asiatique font très peur, les pays américains, un peu moins. En Asie, il y a une réelle culture boccia qui est désormais présente. En Angleterre, en Espagne et au Portugal également. Après, malgré tout, dès qu’un pays organise les Jeux, j’ai l’impression que ça va beaucoup mieux derrière.
S’il y avait un moment à retenir pour la boccia en France, lequel serait-ce ?
Bien sûr, il y a le titre de champion d’Europe parce qu’on sait très bien que tant qu’il n’y a pas de titre, c’est compliqué d’avoir une réelle reconnaissance pour les joueurs comme pour nous, la fédération.
Il y a aussi le fait d’avoir réussi à bien développer la boccia en France. En 2016, on a vraiment franchi un cap au niveau du nombre de pratiquants.
En ce qui concerne les Jeux Paralympiques, la commission a été créée en 2008. Le temps de tout installer, ça a pris du temps car il n’y avait pas de filière « Compétitions internationales ». Par conséquent, en 2012, une qualification aux Jeux n’était pas du tout dans nos plans. En 2016, c’est devenu un projet parce que les joueurs BC3, ont été très performants. On aurait pu se qualifier mais on est passé à une place des Jeux. Pour 2020, en revanche, tout a été mis en œuvre pour y arriver et on a donc pu qualifier une doublette, pour la première fois.
Pour autant, peut-on dire que la boccia se développe au niveau national ?
On a eu une très belle lancée de 2008 à 2016 où on a doublé le nombre de pratiquants, on a aussi propulsé le nombre de pratiquants en compétition de 0 à 400, ce qui est relativement élevé dans le monde handisport. Ça a été vraiment fulgurant parce qu’il y avait une réelle demande en France et la stratégie de développement a été assez efficace. Depuis 2016, on stagne un peu à 3000 pratiquants mais on a quand même accentué les formations des officiels, des entraîneurs. Par conséquent, en termes de qualité, ça continue de progresser doucement. Depuis 2019, avec le déblocage de fonds pour Paris 2024, on a également pu réaliser plus de stages, intensifier la préparation.
A ce jour, on a pas encore de structures d’entrainement très développées. On est plus sur la réalisation de stages mensuels. Je pense que ça deviendra plus qu’un simple projet d’ici 2022-23.
Quels sont les prochains événements majeurs pour la boccia française ?
Il y a l’organisation d’un Open européen à Nantes, en 2021. C’est un virage important car on a pas encore organisé de grand évènement boccia en France. L’image du grand handicap est très peu connu. Cela nous permet de continuer dans cette phase de développement pour que les gens comprennent encore mieux ce que l’on fait.
Comment faire pour trouver un club si ce sport nous intéresse ?
On fonctionne comme tous les sports même si on a un peu moins de proximité que les sports valides. Si on tape « boccia » sur internet, on tombe vite sur le site de la fédération ou le nôtre. On a un correspondant par région, que l’on peut contacter. Ensuite, c’est lui qui tente de vous orienter vers un club. Après, la problématique de développement du handisport est de trouver des ressources alternatives afin que chaque pratiquant puisse jouer le plus possible, car le nombre de clubs est encore limité (il y a environ 200 clubs de boccia en France).
Rédaction : E. Lolmede
Article réalisé par Futur Sport